Larry et Jackson passent souvent la nuit dans les parcs ou les squares publics. À partir du 1er septembre 2006, ce sera interdit dans l'arrondissement de Ville-Marie, qui couvre le centre-ville. Quiconque met les pieds entre minuit et 6h à la place Jacques-Cartier ou au square Victoria pourra se voir coller une contravention de 141$. Larry n'a pas l'intention de changer ses habitudes. "Il me faut un endroit pour dormir", dit-il. Les refuges? "Je n'aime pas ça. Il faut arriver le soir avant 21h et repartir tôt le matin." Et les contraventions? "Voilà ce qu'on fait avec", a lancé Jackson en prenant un constat d'infraction sous un sans-abri qui ne dormait pas très loin. Il l'a déchiré en deux, avant de filer à vélo. Hier, Jackson et Larry flânaient à la place de la Paix avec d'autres sans-abri. Personne n'était au courant de la nouvelle réglementation.
La Ville de Montréal interdisait déjà aux citoyen-nes d'être dans un parc au beau milieu de la nuit. Il y a un mois, le conseil d'arrondissement de Ville-Marie a modifié le règlement afin qu'il inclut 15 endroits publics, dont la place d'Armes, la place du Canada et la place d'Youville (le square Viger était déjà réglementé).
Dans plusieurs villes du Québec et d'Amérique du Nord, les parcs ont des heures d'ouverture et de fermeture. Pour la première fois au Canada, ce règlement est contesté à Victoria devant la Cour supérieure de la Colombie-Britannique. Un juge devra décider si cela contrevient à la Charte des droits et libertés. La cause ne sera entendue qu'en septembre 2007, a indiqué à La Presse l'avocate chargée du dossier, Catherine Boies Parker. "Les sans-abri n'ont pas d'endroit où dormir, plaide-t-elle. Le règlement nuit à leur sécurité et à leur dignité."
Une décision rendue récemment aux États-Unis pourrait aider la cause de Me Boies Parker. À Los Angeles, il était interdit de dormir dans un parc à toute heure de la journée. Au printemps 2006, une cour d'appel a statué que ce règlement était cruel et inaccoutumé et contraire à la Constitution. "Ce verdict servira de jurisprudence", souligne Tulin Ozdeger, avocate au National Law Center of Homelessness and Poverty. L'American Civil Liberties Union of Nevada conteste aussi un règlement municipal de Las Vegas, qui interdit de nourrir les sans-abri dans les parcs...
Un règlement excessif
À Montréal, les organismes n'ont pas l'intention de faire front commun devant les tribunaux. Mais le Réseau d'aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM) manifestera son mécontentement à la Ville. Les deux parties doivent se rencontrer à la Commission des droits de la personne dans près d'un mois. "Le règlement est excessif, estime Me Julius Grey, spécialiste des droits de la personne. Il vise une partie vulnérable de la population." Du point de vue juridique, Me Grey pense que le règlement est contestable. "Mais je vois comment on pourrait le défendre et le prohiber. Il s'argumente dans les deux sens", explique-t-il.
De son côté, l'arrondissement de Ville-Marie explique qu'il faut respecter la quiétude des résidant-es. "Nous avons des plaintes. Il y a du bruit et des batailles au milieu de la nuit", signale le chargé de communication, Jacques-Alain Lavallée.
Au cours des dernières années, des condos se sont construits près du square Viger ou de la place de la Paix, où errent beaucoup de sans-abri. "Les gens le savaient avant de déménager", fait valoir le père Sylvio Michaud, directeur de la Maison du père.
Avec la modification du règlement, les refuges ne s'attendent pas à manquer de lits. La plupart des gens qui passent la nuit dehors ne font pas partie de leur clientèle. Ils ne peuvent entrer dans un refuge sous l'effet de la drogue ou de l'alcool, ou avec un chien. "On les envoie où, ces gens-là? On ne les envoie nulle part, déplore le coordonnateur du RAPSIM, Pierre Gaudreau. Pour nous, le nouveau règlement ferme l'espace public. C'est un outil de judiciarisation envers les personnes itinérantes."
Au Service de police de la Ville de Montréal, on dit que le règlement est clair. "Les espaces publics ne doivent pas servir de terrains de camping", indique le commandant du poste 21, Marc Riopel. De 2004 à 2005, les contraventions données aux sans-abri ont baissé de 50%, fait-il valoir. "On sait que donner des contraventions n'améliore pas la situation et que les itinérants ne les paient pas. On les avertit d'abord et on leur suggère d'aller dans les centres."
Source : La Presse, 31.08.2006 Pages reliées : Que d'inconséquence!, RAPSIM, 13.09.2006 Où vont dormir les sans-abri?, Dimanche magazine, 03.09.2006 Fermeture des parcs : un geste inacceptable et inconséquent, RAPSIM, 31.08.2006
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